« Communiquer la musique avec tout son être »

Françoise Lombard, pianiste, pédagogue de l’écoute et enseignante en rythmique
Dalcroze
La pédagogie de l’écoute vise à développer la qualité de l’écoute en s’appuyant sur la
sensation de la vibration de la voix dans le corps, pour soutenir nos oreilles dans la
justesse d’intonation et la qualité d’émission vocale. Au fil des années, mon
enthousiasme pour cette pédagogie reste intact, appuyé par une expérience qui confirme
que l’écoute sensorielle génère effectivement une grande présence dans la musique.
L’importance de l’écoute
Tout le monde- ou presque – peut chanter et reproduire les sons qu’il entend. Mais la
question est de savoir comment on écoute, car la qualité du chant est intimement liée à
celle de notre écoute.
La musique n’est pas que dans les sons, elle vit également entre les sons. Elle est là avant,
pendant et après les sons. Elle vit et vibre dans la présence d’une écoute qui enveloppe
les sons.
Je peux faire un son, un seul son, doucement, la bouche fermée pour bien le sentir vibrer
dans le corps. Si j’habite ce son et que je vous l’adresse, vous allez, non seulement sentir
physiquement sa vibration, mais vous allez également sentir mon intention de
communiquer avec vous. Vous serez alors directement touché.
Si je refais ce son avec la même intensité, mais sans vous l’adresser ni être à l’écoute de
sa vibration, vous l’entendrez, mais vous le sentirez physiquement avec moins d’acuité et
surtout, même s’il est esthétiquement beau, il ne vous rejoindra pas dans votre être et ne
laissera pas de trace.
Le langage musical est profondément affectif. Il nous offre de vivre des émotions que
parfois les mots ne permettent pas d’exprimer aussi librement. Il ne suffit pas d’avoir
l’intention de transmettre son enthousiasme musical à un public pour nécessairement y
parvenir. Il faut apprendre à laisser résonner la musique dans tout le corps, des pieds à la
tête – ne pas se contenter de faire vibrer uniquement les résonateurs du visage – de façon
à ce que tous les choristes – ou instrumentistes – fusionnent leurs voix tels des diapasons
qui vibrent en sympathie. Les instrumentistes feront la même démarche vocale avant de
l’expérimenter dans la musique instrumentale d’ensemble.
S’écouter, écouter autrui, être écouté
Pour s’adresser à l’autre, pour toucher le public avec la musique, il faut d’abord accéder à
soi-même. Réussir à s’écouter pour oser être écouté. Il est nécessaire d’être guidé dans
cette démarche par quelqu’un dont l’écoute est déjà bien présente.
Quelques suggestions
Faites l’expérience de lire quelques phrases à voix haute en plaçant votre main contre la
nuque. Vous prendrez déjà conscience de la vibration de votre squelette.
Vous pouvez ensuite faire quelques sons très doux, la bouche fermée, à différentes
hauteurs, et essayer de sentir et de localiser où votre voix résonne.
Fermez les yeux et recommencez l’expérience à divers moments de la journée.
Faites plusieurs fois le même son, toujours bouche fermée, et demandez à quelqu’un de
faire le même son avec vous (les sons doivent être doux et se propager dans tout le
corps).
Refaites ceci jusqu’à ce que vos deux sons fusionnent. Vous devriez alors sentir la
vibration renforcée dans tout votre corps, dans un effet de résonance en sympathie. C’est
subtil, mais très tangible.
En chorale, vous pouvez aussi faire un unisson (ou une octave pour les chœurs à voix
mixtes), toujours très doucement, pour entendre tout le monde. Faites-le jusqu’à ce que
vous obteniez un seul son pour tous, et sentez la vibration de toutes ces voix résonner
dans votre corps.
Continuez avec une quinte, un accord de trois sons, de quatre sons, et prenez le temps de
sentir chacun des sons résonner dans votre propre corps.
C’est là que la présence s’installe : dans ce passage de l’observation extérieure au vécu.
S’entendre de l’intérieur nous met en relation avec chaque choriste ou instrumentiste
autour de nous et génère une plénitude sonore.
Voix ostéophoniques
C’est cette qualité de résonance qui définit les voix dites « ostéophoniques ». Ce terme
vient de « osteo » : os, et de « phonie » : phonation, c’est-à-dire le son que l’on peut
sentir vibrer dans les os. Il caractérise les voix que l’on entend vibrer dans la globalité du
corps, induisant une fusion sonore et une présence toutes particulières.
Notre éducation nous a conditionnés et souvent morcelés dans notre fonctionnement et
dans nos apprentissages, nous faisant perdre la sensation de notre être dans sa globalité. Il
faut se rappeler que, tel un violoncelle, notre corps est une caisse de résonance qui vibre
de tout son squelette, de toute sa chair et de toute son âme.
Coupés du corps, nous risquons de chanter – ou de jouer – uniquement vers l’extérieur, de
ne plus nous entendre chanter, de nous sentir isolés ou de nous laisser entraîner par les
autres pupitres, d’avoir un son de voix discordant. Se laissant guider par notre écoute, il
est possible de sentir la vibration de notre voix dans la totalité du corps.
Se sentir vibrer de l’intérieur, c’est s’assurer que, du pianissimo au fortissimo, on
entendra toujours tout le monde autour de soi. C’est aussi habiter la musique pour offrir
un partage qui laisse une trace indélébile dans le cœur de chacun.